Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Les Voraces
Newsletter
202 abonnés
Publicité
24 septembre 2022

Culture et Confiture médiévales 04 – La disquette au Moyen-âge 02

Après cette pause estivale, - fort méritée il me semble – je suis heureuse de te retrouver avec la rubrique Culture et Confiture… Ce quatrième volet consacré encore et toujours au Moyen-Âge reste dans la continuité du précédent qui expliquait rapidement ce qu’est la fin’amor avant de brosser le portrait du truculent Guillaume IX d’Aquitaine... Du coup je n’avais que peu abordé la poésie en elle-même, que ce soit sa forme, son fond ou les artistes médiévaux à son service… Fais-toi un chocolat chaud, un diabolo fraise – les meilleurs – ou tout autre breuvage réconfortant, prends tes aises et prépare-toi à une chronique avec plein de savoir à l’intérieur.

 

On rigole pas avec la forme…

Si tu as eu la souffrance le privilège d’aller à l’école ami-lecteur, tu as sans doute entendu parler des deux langues de la France du XIIe et XIIIe siècles. Tu te souviens ? La Loire forme alors une sorte de frontière linguistique, au Nord c’est la langue d’Oïl, celle des trouvères, au Sud c’est la langue d’Oc, celle des troubadours. Ces termes, troubadours et trouvères, viennent du provençal trobar qui signifie trouver, ici dans le sens d’inventeur de texte et de mélodie. Car oui, rappelons-le, les troubadours comme les trouvères sont des poètes musiciens.

Vu qu’on entend généralement parler de l’histoire littéraire à l'école on a tendance à voir celle-ci comme une succession de chapitres : époque médiévale, humanisme, La Pléiade, le baroque, le classicisme, les Lumières,… Comme si chaque mouvement n’avait que peu de choses à voir avec les périodes passées. Sauf que la littérature se fait toujours en lien avec les écrits et l’art d'avant. Que ce soit en continuité ou en rupture… C’est pareil pour nombre de disciplines. Genre il suffit de regarder une émission de cuisine pour comprendre que réinventer une recette est un truc récurrent. Bref, compliqué de se passer des anciens…

Pour la poésie médiévale c’est tout pareil. L’idée que l’amour « occidental » serait un machin né au XIIe siècle paraît un brin incohérent et on ne peut pas ignorer les poètes grecs ou romains – même si on est pas obligé de les lire hein...-. Poètes antiques ayant eux-même produit des textes dans lesquels le sentiment amoureux pouvait être sublimé, genre Ovide, genre Sappho...

En outre, même si je t’ai bassiné avec Guillaume le coquin dans le volet précédent et qu’on a tendance à le voir comme un précurseur, il est possible – et probable à mon humble avis – qu’il y ait eu d’autres artistes avant lui. Et sans en référer au passé, il y avait aussi la poétique amoureuse de l’Espagne musulmane – hélas c’est un sujet que je connais peu donc je ne peux que t’encourager à te renseigner sur la question.

Bref la poésie du XIIe puis du XIIIe est une poésie en continuité, pas en rupture complète... Mais quelle en est la forme ? Sa forme essentielle, c’est la canso, la chanson. Mais cherche pas à la comparer au dernier titre de Hoshi, y a pas grand-chose à voir, pour le coup la canso est un ancêtre trop lointain... Cet aïeul est quand même constitué de strophes, aussi appelées cobla. Ces dernières sont elles-même divisées en deux parties et toutes ont le même système métrique. A contrario les rimes peuvent varier, soit à chaque strophe ou coblace sont alors des coblas singulars -, toutes les deux strophes – ce sont alors des coblas doblas – ou rester pareilles – ce seront donc des coblas unissonans-. Soit, comme d’habitude, il y a quelques excentriques qui utilisent des formes plus complexes mais bon, on ne va pas faire 45 volets de cette histoire de poésie…

Revenons à la canso… elle se termine souvent par un envoi, ou tornada, qui reprend les rimes de la fin de la dernière strophe.

Bref la canso est un genre assez formel. Avec, en prime, les difficultés de la langue... Et je dois dire que pour découvrir la poésie, je ne conseillerais pas vraiment de commencer par la poésie lyrique du XIIe et XIIIe siècles… Et parce qu’on est pas en théorie, voyons un exemple avec les deux premières strophes de Can vei la lauzeta mover de Bernard de Ventadour, accompgnées – bien entendu – d’une traduction de Léon Clédat :

Can vei la lauzeta mover Quand je vois l'alouette mouvoir / De joi sas alas contral rai, De joie ses ailes face au soleil, / Que s'oblid' e.s laissa chazer Que s'oublie et se laisse choir / Per la doussor c'al cor li vai, Par la douceur qu'au cœur lui va, / Ai tan grans enveya m'en ve Las ! si grand envie me vient / De cui qu'eu veya jauzion, De tous ceux dont je vois la joie, / Meravilhas ai, car desse Et c'est merveille qu'à l'instant / Lo cor de dezirer no.m fon. Le cœur de désir ne me fonde.

Ai, las tan cuidava saber Hélas! tant en croyais savoir / D'amor, e tan petit en sai, En amour, et si peu en sais. / Car eu d'amar no.m posc tener Car j'aime sans y rien pouvoir / Celeis don ja pro non aurai. Celle dont jamais rien n'aurai. / Tout m'a mo cor, e tout m'a me, Elle a tout mon cœur, et m'a tout, / E se mezeis e tot lo mon ! Et moi-même, et le monde entier, / E can se.m tolc, no.m laisset re Et ces vols ne m'ont rien laissé ; / Mas dezirer e cor volon. Que désir et cœur assoiffé.

C’est beau non ?

BnF_ms

Bernard de Ventadour, enluminure du XIIe siècle -BnF ms. 12473 fol. 15v - Bernart de Ventadour (1).jpg

L’amour courtois encore et toujours

Tu te souviens ami-lecteur, je t’avais parlé de la fin’amor dans la première partie de la chronique sur « La Disquette au Moyen-Âge »...Un amour souvent de loin, pour une femme d’un rang supérieur et pour laquelle le héros, en général chevalier, subit moult aventures et épreuves. Tout au long des XIIe et XIIIe siècles si la forme se simplifie un tantinet, la chanson d’amour reste le thème souverain. Pourtant, malgré cette stabilité apparente des motifs, l’expression de l’amour varie d’un artiste à un autre… Encore une fois, la créativité trouve toujours son chemin, même dans les forteresses les plus fermées. Ainsi on trouve la sensualité la plus tendre avec le Châtelain de Coucy :

La douce voiz du louseignol sauvage La douce voix du rossignol sauvage, / Qu'oi nuit et jour cointoier et tentir j'entends nuit et jour ses modulations. / M'adoucist si le cuer et rassouage Elle emplit mon cœur de calme et de douceur, / Qu'or ai talent que chant pour esbaudir; elle me donne le désir de chanter pour dire mon bonheur. / Bien doi chanter puis qu'il vient a plaisir J'aime à le faire puisque mon chant agrée / Cele qui j'ai fait de cuer lige homage; à celle qui est devenue de mon cœur la souveraine / Si doi avoir grant joie en mon corage, et ma joie sera plénière / S'ele me veut a son oez retenir. si elle veut me retenir pour serviteur.

Comme on trouve un réalisme âpre chez Conon de Béthune :

L’autrier avint en cel autre païsJadis dans un autre pays /C’uns chevaliers eut une dame amee. Un chevalier aima une dame. / Tant com la dame fu en son bon pris, Tant que la dame fut à son avantage, / Li a s’amor escondite et veee. Elle lui refusa son amour, / Puis fu un jors k’ele li dist : « Amis, Jusqu’au jour où elle lui dit : « Ami, / Mené vous ai par parole mains dis ; Je vous ai longtemps amusé par mes paroles ; / Ore est l’amors coneüe et provee. Or votre amour est connu et prouvé, / Des or mais sui tot a vostre devis. » Désormais, je serai toute à votre gré. »

Li chevalliers le regarda el vis, Le chevalier la regarda bien en face, / Si la vit mout pale et descoulouree. Il la vit pâle et décolorée. / « Dame », fait il, « certes mal sui baillis « Dame, fait-il, je n’ai pas de chance / Ke n’eüstes piech’a ceste pensee. Que dès l’autre année, vous n’ayez eu cette pensée. / Vostres cler vis, ki sambloit flors de lis, Votre beau visage qui ressemblait à la fleur de lis / Est si alés, dame, de mal em pis Me paraît avoir tellement changé de mal en pis / K’il m’est a vis ke me soiés emblee. Qu’il m’est avis que vous n’êtes plus la même à mes yeux. / A tart avés, dame, cest consell pris. » Vous avez pris bien tard cette décision, madame. »

Prenons quelques secondes ami-lecteur, pour noter qu’il y a eu des connards à toutes les époques...

Malgré cette diversité, beaucoup de chansons de trouvères, attribuées ou souvent anonymes, chantent un amour plus facile, plus spontané, le diminutif amourette y venant relayer le terme Amor.

Bon tu me connais ami-lecteur, j’aime la franchise. Or si j’ai effectivement intitulé les deux chroniques qui évoquent la poésie médiévale « La disquette au Moyen-Âge », il existe d’autres formes poétiques. Ben ouais… Y a pas que la romance dans la vie. Par exemple la chanson de croisade. Soit, là ça triche un peu parce que si ça débute le plus souvent avec le départ pour la croisade, il y a est quand même régulièrement question d’amour. À croire que la guerre n’occupe pas assez…

Seventh_crusade

Saint-Louis et la septième croisade - Guillaume de Saint-Pathus, Vie et miracles de Saint Louis — http://www.usu.edu/markdamen/1320Hist&Civ/chapters/15CRUSAD.htm

Un autre exemple ? Comme on l’a évoqué dans la toute première chronique la religion est quand même un truc primordial à cette époque. Du coup il existe la poésie mariale, surtout au XIIIe, qui a pour principe de célébrer la « Vierge Mère ». Je peux être sincère ? Je n'en ai jamais lu et n’en ai aucunement l’intention… Là tu vas peut-être te dire que l’image de la femme a des relents de charogne… Après tout on a eu le droit à la femme inaccessible puis à celle qui, quand même, perd l’amour de son galant parce qu’elle a vieilli, pour finir par ce super archétype de la pucelle qui enfante. Sauf que la femme avait une place dans la poésie. Et pas seulement celle de la muse… 

Voix de femmes

Pourtant je dois avouer que j’ai eu du mal à trouver des choses sur les voix féminines dans la poésie médiévale. Non pas que les femmes n’étaient pas trobairitz (femme troubadours) ou trouveresse (femme trouvères). Le truc c’est que je n’ai pas trouvé grand-chose sur elles dans les bouquins de ma bibliothèque. Ainsi dans Histoire de la Littérature française (dirigé par Daniel Couty) - mon point de départ pour l’écriture de la rubrique Culture et Confiture-, s’il existe une partie intitulée Voix de femmes elle n’est seulement que de quelques lignes... Alors qu’ensuite on a une tartine sur les poésies et chansons écrites par des hommes mais dont le narrateur est une narratrice – arnaaaaaaaque -.

Cela ne semble pas refléter la réalité puisqu’il y a eu des femmes auteures. Pourquoi cette difficulté à trouver des infos ? Car non seulement la littérature médiévale n’est pas la plus plébiscitée mais il faut avoir conscience que peu de textes nous sont parvenus…

Au premier abord on a donc l’impression que les femmes trobairitz et trouveresses n’existaient pas ou faisaient figure d’exception. Et pourtant… Au XIIe et XIIIe siècles, des trobairitz écrivaient telles Beatriz comtesse de Die, Azalaïs de Porcairagues, Guillelma de Rosers, Azalaïs d'Altier ou encore Beatritz de Romans…

BnF_ms

BnF_ms._12473_fol._125v_-_Azalais_de_Porcairagues_(2).jpg

Côté trouveresses, citons Doëte de Troyeset ou Maroie de Diergnau...

Le Moyen-Âge, ici le XIIe et XIIIe siècle, se révèle toujours surprenant car mal compris et mal représenté dans la culture populaire… Si la poésie lyrique médiévale reste compliquée à connaître, entre les difficultés de langue et le fait que toutes les œuvres ne nous soient pas parvenues, elle n’en demeure pas moins à la source de ce que la littérature nous offrira dans les siècles suivants. Enfin, rappeler que les femmes écrivaient déjà permet de montrer à quel point les masculinistes ont tort quand ils prétendent que les artistes de premier plan ont toujours été des hommes – bim dans la face -.

D’habitude c’est le moment où je t’annonce quel sera le sujet de la prochaine chronique. Sauf que j’hésite… La seule chose dont je sois certaine et qu’il s’agira de la suite de Culture et Confiture médiévales… Et qu’il devrait être encore question de héros courageux et d’amours compliquées…

 

Sources :

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité