Plus le temps passe, plus je rencontre des gens férus de lecture et plus je me heurte à certains d'entre eux – bien heureusement il reste beaucoup d'individus passionnants et tolérants parmi les lecteurs.

Parfois j'ai l'impression que le monde se partage en deux camps opposés. Ceux qui aiment la littérature, c'est à dire la grande, semblent mépriser ceux qui recherchent autre chose que l'art dans la lecture. Comme s'il était odieux de prendre du plaisir autrement que par le prisme de la culture et de l'exigence du style. A l'autre bout du champs de bataille, se trouvent parfois ceux qui veulent s'évader en lisant, qui veulent prendre du bon temps. Certains ne supportent pas que l'on qualifie les ouvrages qu'ils aiment de divertissements. Or les romans par lesquels on s'évadent et par lesquels on éprouve beaucoup de plaisir ne sont pas toujours de la bonne littérature. J'aime bien lire Charlaine Harris, vraiment, mais c'est loin d'être un grand écrivain et non, ses livres ne sont pas des chef-d'œuvre. Je juge les livres sans mépriser aucun genre, aucun but, aucun écrivain.

Il y a pourtant quelques écrivains que je trouve tout à fait insupportables, ceux qui se targuent de faire de la littérature, de la grande, et qui manquent tout à fait à leur objectif. Ceux qui préfèrent visiblement faire de la mauvaise littérature plutôt que de faire un bon divertissement. Ceux dont l'égo boursouflé transpire dans leurs mots. Souvent se sont aussi ceux qui ont beaucoup de succès et qui semblent inattaquables. L'exemple le plus notable de cette sorte d'auteurs me semble être monsieur Marc Levy dont j'ai lu deux ou trois romans.

Il est mal vu, dans les blogs, sur les forums, de descendre la prose de monsieur Levy. Des hordes d'internautes -la bave aux lèvres et le regard sanglant- sautent généralement à la gorge du critique en question. Non  pas qu'ils montrent, paragraphes de l'auteur à l'appui, cette qualité d'écriture qu'ils invoquent pourtant à tout bout de champs. Nan, les insultes -selon eux- pleuvent très vite. Nous, les démolisseur de Levy, Werber and co, sommes au mieux de petits snobinards admirateurs d'ouvrages prétentieux et illisibles, au pire des jaloux qui ne supportent pas les succès d'édition. Si on a l'audace de rétorquer, de répondre que l'on aime certains auteurs populaires, Pennac par exemple, et que c'est la littérature mauvaise qualité ou les mauvais divertissement que l'on dénigre, tout de suite ce sont des ripostes virulentes. Je ne comprends pas cette impossibilité à conserver toute lucidité littéraire lorsque l'on dévore de « mauvais livres »

Je ne suis pas toujours, moi non plus, dans l'état d'esprit de lire du Nabe, du Céline, du Rimbaud ou du Faulkner. Je lis beaucoup de bouquins de divertissement. J'aime la bit-lit, certains mauvais policiers, les romans sentimentaux... Ils sont des divertissements agréables et je n'ai aucune gêne à en lire. Sauf que leurs auteurs justement ne se prennent pas pour Nabe, Céline, Rimbaud ou Faulkner. Leurs mots suintent une modestie salvatrice. Ce n'est pas le cas de Levy, de Weber ou -le pire à mes yeux- d'Alexandre Jardin. Ce qui me gêne c'est l'orgueil de ces derniers. Leurs tournures de phrases -souvent ridicules- transpirent une sagesse de gare, une ivresse artistique de Prisunic. Dans « Toutes ces choses qu'on ne s'est pas dites » monsieur Levy assène cette moral de discount avec toute la platitude -gigantesque- dont il est capable : « Il suffit de renoncer à ses rêves pour qu'ils s'évanouissent »; «Le monde est grand, l'amitié est immense »; « Parents et enfants mettent souvent des années avant de se rencontrer » Des citations pas même dignes d'emballer nos papillotes.

Ensuite, certains de ces lecteurs ont le toupet de se poser en victimes, c'est d'ailleurs Lévy lui-même qui leur suggère « Si le microcosme littéraire a l'honnêteté de dire ce qu'il pense, c'est que le livre est exclusivement réservé à une petite élite de gens très intelligents et cultivés, qu'il le dise. Mais on ne peut pas à la fois appartenir à un milieu littéraire et dire dans les interviews qu'il faut protéger le livre, qu'il est en danger, et en même temps critiquer les gens qui lisent en grand nombre »

Depuis quand critiquer un livre c'est critiquer ses lecteurs ? Je lis parfois des Harlequin -oui bon personne n'est parfait- et j'ose dire que c'est de la bouse souvent mal écrit et remplis de cliché alors que j'aurais quelque répugnance à utiliser le terme de bouse pour me décrire. J'ai lu de la bouse et je n'en suis pas moins une personne respectable. Alors oui j'ose dire que les ouvrages de Levy / Musso / Weber  sont de la daube même si certains de leurs lecteurs sont des amis proches. De plus, le snobisme n'est-il pas du côté de Levy lorsqu'il dit « le livre est exclusivement réservé à une petite élite de gens très intelligents et cultivés » ? - pense-il donc que ses lecteurs sont des benêts sans instruction ?

Enfin, on entend souvent dire qu'au moins les gens lisent grâce à des auteurs comme ça... Et alors ? En quoi l'activité de lire est-elle noble ? Si tout vaut tout, alors allons-y carrément mes amis, arrêtons d'assommer nos collégiens avec du Roald Dahl ou -pire- du  Molière et donnons leurs à lire le programme TV et l'annuaire. Parce que je vous le dis, si ma fille aime écrire je préfèrerais mille fois qu'elle utilise le style sms plutôt que le phrasé de monsieur Levy.

Ce que j'essaie de faire lorsque j'écris mes critiques et donne des notes, ce n'est pas de juger le livre en le comparant à des chefs d'œuvres. Je me pose les questions suivantes : quel est le but de ce livre ? me distraire ? M'émouvoir ? Me faire rire ? Est-ce qu'il parvient à son but ? Est-il cohérent dans le récit et dans le style ? Vous qui me lisez, avez bien entendu le droit de ne pas être d'accord et si c'est le cas, si vous voulez défendre intelligemment votre avis alors non seulement je comprendrais mais je prendrais un plaisir extrême à vous lire. En fait, limite je me mets à genoux pour que vous le fassiez. Quel intérêt de donner son opinion si ce n'est pour allez à la rencontre d'amicaux adversaires ?