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Les Voraces
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30 avril 2022

Culture et Confiture médiévales 01 – Parles-tu le roman ou le tudesque ?

Chose promise, toussa toussa… Me voilà donc toute prête à te parler de la belle et longue histoire de la littérature française… Si tu veux en savoir plus sur cette nouvelle rubrique ami-lecteur, tu peux aller lire la bafouille qui l’annonçait ici. Et avant toute chose, rappelons que je ne suis pas historienne, ni universitaire, ceci n’est pas un cours hein, juste l’occasion de partager deux trois trucs et que la culture, c’est comme la confiture, moins on en a, plus on l’étale…

Vu que je suis une plieuse de culottes, il me faut commencer par le commencement : le Moyen-âge. Ouais cette période plus longue qu’un film expérimental d’un élève en cinéma… Bien entendu il y aura plusieurs épisodes, un peu comme Game of thrones mais avec un peu moins de nichon à l’intérieur…

Toi, paysan sous Charlemagne...

Maintenant ferme les yeux ami-lecteur et imagine. Ah, crottin de cheval, tu peux plus lire, bon ben imagine juste. Tu es un jeune paysan sous Charlemagne. Même que tu t’appelles Leutfridus – promis c’est un prénom attesté par un polyptique et tout -. Tu es une donzelle ? Alors disons que tu te prénommes Teodeilda. C’est bô, hein ? Pour la prononciation, me demande pas, j’en ai aucune idée. Bref tu es paysan(ne) sous Charlemagne et nous sommes en 812. J’vais pas te mentir, ta vie elle est un peu pourrie. Tu trimes, tu trimes et tu trimes. Puis tu vas à la messe aussi, le seul jour où tu trimes pas. Quelle chance ! Non sérieusement, ça pourrait être sympa cette histoire de messe finalement… ça casse la routine du labeur. Sauf qu’il y a un petit détail qui te fait ronchonner cher Leutfridus, chère Teodeilda. Toi qui ne sais même pas lire et écrire – pour ce que ça te servirait pour combattre la famine et la maladie -, toi qui ne sortiras jamais de ton patelin, ben la messe, elle est en latin. Ouais… C’est comme si on avait pour seul loisir une série estonienne, toi qui ne parles que français et baragouine à peine l’anglais… Tu sens comme ta vie est joyeuse ?

1-2_viepaysan

Le Viticulteur, Barthélemy l'Anglais,
Livre de Propriétés des Choses, enluminure, fin XV
e siècle
© BnF

Heureusement, Charlemagne organise des réunions…

En 812, tout ce qui était savant, que ce soit la Religion ou les écrits laïcs, était rédigé en latin. Et les prêches prononcés dans la même langue. Mais point d’inquiétude Leutfridus ! ou Teodeilda… Charlemagne est sympa – mouais -… Même qu’il va organiser plein de conciles dont celui qui va te concerner : le concile de Tour. On est alors en 813 et tout un troupeau d’évêques vont boire une pinte en papotant. Ils papotent pas pour partager les dernières news médiévales hein. Nan, nan, ils prennent plein de décisions. Ils se disent que quand même c’est dommage que toi Leutfridus, et tous tes petits camarades, vous ne compreniez rien à la messe. C’est ballot, comment tu vas le gagner ton paradis ? Ces bons messieurs décident donc que désormais, on utilisera la langue vulgaire, la lingua romana rustica, pour les sermons. Non en vrai c’est plus compliqué que ça Leutfridus… Ce qu’ils disent c’est qu’il faut utiliser la « rusticam Romanam linguam aut Theodiscam, quo facilius cuncti possint intellegere quae dicuntur ». Me menace pas ami-lecteur, j’ai la traduction… ça signifie en langue rustique romane ou en langue tudesque. Ben ouais, la France elle est pas comme on la connaît : un territoire, une langue, blablabla. Si Zemmour, tu passes par là, lis pas tout ça, tu vas finir nauséeux… Du coup dans la contrée de Charlemagne y a non seulement le latin pour les intellos mais les gens du peuple ne parlent pas tous la même langue. Sans même évoquer les dialectes, on a déjà deux langues principales : le roman (ancêtre bien lointain de notre français) et le tudesque (une sorte de germanique). Bah oui, je rappelle que le territoire de Charlemagne était vachement grand…

711px-Empire_carolingien_768-811

cyberprout (d · contributions), CC BY-SA 3.0 <http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/>, via Wikimedia Commons

Peu importe finalement, ce qui est demandé aux clercs c’est d’utiliser la langue commune dans leur coin pour que les fidèles comprennent de quoi il est question. Pour que Leutfridus, Teodeilda ou même Bernegarius profitent un tant soit peu des sermons.

Là, tu vas peut-être imaginer que c’est bon, les langues « vulgaires » sont lancées, que, très vite, il y aura des textes écrits dans ces dernières. Sauf que nan, trop pas. Il faut dire que le latin était considéré comme noble. Au-delà de ça, je pense aussi que c’était un marqueur social. J’veux dire comme la maison de campagne de nos jours, ou bien la belle voiture… Tu comprends le latin ? Tu ne fais pas parti de la plèbe. Quant à toi Leutfridus, quant à toi Teodeilda, vous n’êtes que des paysans je vous rappelle. Bref, il faut attendre presque trente ans avant qu’un premier texte complet écrit dans une autre langue que le latin soit attesté.

Tu veux en savoir plus ? Allez je te raconte...

Les éternels problèmes de famille…

Tu ne le sais pas encore Leutfridus mais Charlemagne va mourir. En 1814. Il a bien un fils qui prend le relais, même que c’est Louis le Pieux. Remarque bien la classe des surnoms de l’époque, on est loin du Flan… Sauf que Louis finit lui aussi par mourir. En 840. Sauf que le petit coquin a quatre rejetons mâles : Lothaire, Pépin, Louis et Charles. Ouais avec Lothaire et Pépin, tu peux désormais arrêter de te plaindre de ton prénom imaginaire, qu’il soit Leutfridus ou Teodeilda. Deux des mioches vont faire une alliance contre un autre de leur frangin – ah, les fratries...-. C’est ainsi que Charles le Chauve – pas de bol – et Louis le Germanique combinent leurs forces contre Lothaire. Pour sceller leur alliance ils organisent un évènement : les Serments de Strasbourg, en 842. Puis ils font ça bien, par écrit et tout et tout. Ce seront, à priori, les premiers textes rédigés en langues vulgaires. Tu as remarqué le « s » à langue ? Ben ouais c’est parce que les serments sont écrits en latin – tu te souviens, pour les lettrés, parce que ça fait savant -, en roman qu’on pourrait appeler aussi proto-français et en germanique ou tudesque. Charles le Chauve il prononce le truc dans la langue des soldats de son frère, en germanique, alors que Louis il le dit en roman.

serments_strasbourg_2

C’est à ce moment-là, avec ces fameux serments de Strasbourg, en 842, qu’on date le début du « français » écrit. Tu veux voir ce que ça donne un peu ?

Alors d’abord l’extrait en français contemporain :

Pour l'amour de Dieu et pour le salut peuple chrétien et notre salut à tous deux, à partir de ce jour dorénavant, autant que Dieu m'en donnera savoir et pouvoir, je secourrai ce mien frère, comme on doit selon l'équité secourir son frère, à condition qu'il en fasse autant pour moi, et je n'entrerai avec Lothaire en aucun arrangement qui, de ma volonté, puisse lui être dommageable.

Ensuite, juste pour le plaisir, en tudesque :

In Godes minna ind in thes christianes folches ind unser bedhero gehaltnissi, fon thesemo dage frammordes, so fram so mir Got geuuizci indi mahd furgibit, so haldih thesan minan bruodher, soss man mit rehtu sinan bruher scal, in thiu thaz er mig so sama duo, indi mit Ludheren in nohheiniu thing ne gegango, the, minan uuillon, imo ce scadhen uuerdhen.

Et enfin, je suppose que c’est ce qui t’intéresse le plus, en roman, ancêtre du français :

Pro Deo amur et pro christian poblo et nostro commun salvament, d'ist di in avant, in quant Deus savir et podir me dunat, si salvarai eo cist meon fradre Karlo et in aiudha et in cadhuna cosa, si cum om per dreit son fradra salvar dift, in o quid il mi altresi fazet et ab Ludher nul plaid nunquam prindrai, qui, meon vol, cist meon fradre Karle in damno sit.

Voilà, ami-lecteur, tu peux reprendre ton prénom habituel, tu sais maintenant que le français a mis du temps à devenir une langue écrite. Et pour te parler un peu littérature du Moyen-âge, fallait bien en passer par là. T’inquiète, tu auras le temps de reprendre ton souffle, puisque la suite arrivera le mois prochain, pour être exacte, le dernier samedi de mai.

Sources :

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Commentaires
N
Décidément, j'apprends plein de choses avec ce blog. Entre la découverte que les Harlequins peuvent être de sacrés poilades et ces petites leçons d'histoire, je me sens tellement cultivée :D
Répondre
L
J'adore ! Bravo !
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